Le Loup et l’Agneau

La Fontaine disait : « Le monde est vieuxdit-on, je le crois ; cependant – Il le faut amuser encor comme un enfant. »

Partons visiter cet « objet parfait », «  cette merveille, pas un mot de trop ; pas un trait, pas un des propos du dialogue, qui ne soit révélateur. C’est un objet parfait. » A.Gide (Journal 1939-1949, Bibl.de La Pléiade).

Ecoutons donc et surtout voyons cette merveille qui, tout en permettant de s’amuser un peu, invite à penser beaucoup…


LE LOUP ET L’AGNEAU

« La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
Sire, répond l’Agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle ;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau ; je tette encor ma mère
Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
Je n’en ai point. C’est donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos Bergers et vos Chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge. »
Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l’emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
 »