En 1972 Martin Seligman, alors chercheur en psychologie expérimentale à l’université de Pennsylvanie, développa le concept d’impuissance apprise. Il réalisa des expériences comportementales avec des chiens placés un à un dans deux cages différentes. Les chiens de la première cage subissaient des chocs électriques d’une cinquantaine de secondes sans qu’ils aient la possibilité de s’en extraire. Au fur et à mesure des essais, ces chiens se mettaient à subir passivement les chocs comme résignés. Dans la seconde cage, les chiens pouvaient sauter une barrière et donc échapper aux chocs électriques. Il constata que ces chiens apprenaient rapidement à s’extraire de la cage.

Puis, il plaça les chiens de la première cage où ils subissaient les chocs électriques dans la seconde. Il remarqua alors que ces chiens restaient en grande partie passifs face aux chocs, et que très peu d’entre eux sautaient la barrière et sortaient de la cage bien qu’ils puissent le faire. Ces chiens avaient donc appris à être impuissants.

Quelques années plus tard, Seligman et collaborateurs réalisèrent des études auprès de personnes adultes. Ils montrèrent que face à des problèmes insolvables, les personnes développaient un sentiment d’impuissance à l’instar des chiens qui subissaient les chocs sans pouvoir sortir de la cage. Ils remarquèrent également que ces personnes échouaient davantage à des tâches comparées à celles qui n’avaient pas été mises dans les conditions d’impuissances apprises en amont. En d’autres termes, qu’à subir des échecs répétés et des situations incontrôlables, les personnes apprennent l’impuissance et échouent davantage par la suite.

Un aspect notable de l’étude est l’importance des attributions causales. Lorsque les sujets attribuaient leur échec à la difficulté des problèmes plutôt qu’à leur propre incompétence, leurs performances s’amélioraient de manière significative. Ainsi ce serait l’attribution de l’échec à un manque de compétence personnelle qui semblerait être un facteur crucial dans le développement de l’impuissance apprise.

Pour Seligman, l’impuissance apprise apparaît lorsqu’une personne ne peut plus faire le lien entre les efforts qu’elle fournit et les résultats. Vécue de façon intense et répétée,  l’impuissance apprise sape la confiance, l’estime de soi, la capacité à décider et agir, et peut conduire à la dépression. 

Alors, qu’en est-il quand une enfant telle que Magali se retrouve seule, en vase clos avec sa mère qui la préfère dans l’appartement, lui disant qu’il ne vaut mieux pas qu’elle sorte, qu’elle ne fasse pas de sport. Que le foyer devient une cage avec toutes les bonnes intentions d’une vie de famille. Qu’elle entend se faire répéter : “Pas de vague ! Ne fais pas envie, surtout ne fais pas envie ! Fais le dos rond, fais-toi discrète, fais-toi petite, fuis si on t’embête, ne revendique rien ! Remercie le patron qui te donne du travail”.

Dans ces conditions, comment sauter la barrière et sortir de la cage ? Comment s’extraire quand la cage devient les symboliques de classe et de genre ? Comment reprendre le contrôle de sa vie, de soi, de son corps ?

Ce soir et le mois prochain, au travers du témoignage de Magali, il sera question de l’impuissance apprise, du corps comme moyen de contrôle, du corps comme cage et comme moyen pour sauter la barrière et sortir de sa cage. 

Références scientifiques

Les termes « impuissance apprise » sont la traduction de « Learned helplessness ». De nombreuses ouvrages scientifiques et grand public en langue française existent. Les articles cités en introduction sont les suivants :

  • Seligman, M. E. (1972). Learned helplessness. Annual review of medicine23(1), 407-412.
  • Klein, D. C., Fencil-Morse, E., & Seligman, M. E. (1976). Learned helplessness, depression, and the attribution of failure. Journal of personality and social psychology33(5), 508.

Programmation musicale

  • Edges of Illusions de John Surman
  • BO de Non Uccidere de Corrado Carosio et Pierangelo Fornaro
  • Aint No Mountain High Enough interprétée par Marvin Gaye et Tammi Terrell

Diffusion

  • Première diffusion : Lundi 27 novembre 2023 à 21h (dernier lundi du mois)

Équipe

  • Idée originale, animation, contenu, entretien, montage, programmation musicale… : Jean-David
  • Regard extérieur : Clärli